Enregistré en plein été 2020, ce quatrième album du trio normand SORDIDE voit enfin le jour et, mine de rien, il serait dommage de passer à côté. Ayant initialement privilégié une approche pour le moins rugueuse et frontale, le groupe affiche aujourd’hui un visage autrement plus distinctif. Avant d’aborder l’essentiel, à savoir la musique, que l’on me permette de dire mon contentement – voire mon soulagement – en découvrant des visuels (pochette, digipack et livret signés Henri Klein, découvrez ici) qui tournent résolument le dos aux poncifs symboliques et figuratifs consubstantiels au Black Metal. Ici, nous sommes confrontés à des matières organiques qui semblent puissamment taraudées tout à la fois par la fusion et par le gel. Le logo du groupe n’étant visible que par un procédé d’impression qui ne le fait apparaître que sous certains angles et au toucher.

Le fait est que le Black Metal de SORDIDE en est arrivé à un point de maturation qui préserve l’éruption acide primordiale, marqueur indispensable propre au Black Metal sincère, tout en se trouvant fermement structurée par une approche rigoureuse, froidement pensée et exécutée. Louons le guitariste pour avoir évité de recourir systématiquement à des riffs en trémolos, de s’être donner la peine de proposer des motifs rythmiques, certes aigres et souvent dissonants (l’ombre du Post Metal plane), mais accrocheurs et percutants. Le trio fait montre d’une maîtrise appréciable dans les tempos médiums ou rapides, et devient carrément inquiétant quand il emprunte des voies plus lentes, mais tout aussi expressives.

A l’identique, même dans les passages les plus rapides, il faut relever que le batteur ne se résout pas à opter pour les sempiternels blast beats, privilégiant une approche rigoureuse, quoique davantage tributaire du Punk Hardcore britannique du début des années 80 (GBH, les amies). Les changements de tempo et de rythme sont nombreux, sans que, pour autant, SORDIDE ne coche l’option d’une approche techniciste et absconse, préférant toujours privilégier un rendu certes exigeant, mais avant tout efficace et organique. Bref, c’est agressif, hostile, mais, avant tout, cela vibre !D’autant plus que, dès les premières mesures, on perçoit un élément aussi inhabituel que jouissivement indispensable. Mais oui, des lignes de basse tendues et nerveuses, qui plus est bien présentes dans le mixage !

Sur le plan vocal, on trouve une identique recherche d’un équilibre entre des vocaux franchement abrasifs et rauques d’une part, une élocution suffisamment articulée pour qu’on comprenne quelques paroles, mais surtout pour qu’on perçoive nettement les émotions négativement chargées.

Impossible de clôturer une chronique de SORDIDE sans évoquer l’orientation ostensible et assumée de leurs textes. Là où le Black Metal s’est complu trop souvent – et se complaît encore – dans les postures étroitement identitaires, voire d’extrême droite ou , les trois individus à l‘œuvre au sein de SORDIDE font montre d’une intelligence avérée. En somme, point n’est besoin de singer les pires idéologies éculées pour vomir le système actuel. Plutôt Bakounine que Lénine, plutôt Stiner que Hitler (interprétations relevant strictement du chroniqueur). De surcroît, il n’est pas besoin de recourir à des procédés rédactionnels formellement contraignants pour développer une production textuelle explicite, mais poétique, mais percutante. En somme, si le label associatif les Acteurs de l’Ombre productions finit par ressembler à la Pléïade du Black Metal avec des procédés d’écriture francophones complexes, caractéristiques des textes de Hyrgal, Seth, Les Chants De Nihil, SORDIDE fait la démonstration qu’une ambition poétique peut se traduire par un rendu laconique.

Les plus cyniques pourront reprocher à SORDIDE de ne pas choisir une niche porteuse, de ne pas afficher une identité franchement traditionnelle ou, a contrario, ostensiblement hétérodoxe (à l’instar de Blut Aus Nord, Deathspell Omega ou Merrimack). Fort judicieusement, SORDIDE se dérobe aux prescriptions par trop bornées et chemine avec talent sur une ligne de crête exigeante, sans être avant-gardiste, complexe sans renoncer à l’efficacité, conceptuellement radicale sans se résoudre à la haine de l’autre. Pour tout ceci, j’ai fait miennes « Les Pensées blanches ». A votre tour…

Alain Lavanne

Date de sortie: 04/06/2021

Label: Les Acteurs de l’Ombre productions

Style: Black Métal

Note: 18/20

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Kaosguards boss

Un passionné de metal complètement fou qui joue des coudes à tous les concerts.