Les immenses ressources d’internet m’apprennent que le terme japonais « tesuji » désigne un coup particulièrement audacieux et remarquable au jeu de go. Le fait est que les deux complices qui animent ce projet français ont bel et bien réalisé un tesuji avec leur premier album. Avant les quelques formalités biographiques, je tiens à préciser avoir découvert ce disque grâce à une lumineuse chronique de Jean Marc sur le webzine ami www.metal-integral.com (ici). Pour autant, même si beaucoup de mes constants convergent vers ceux du collègue, j’aborderai la description de « Mirage » en fonction de critères qui me sont propres. Fan invétéré de Doom et de Metal extrême, je n’en ai pas moins développé un intérêt pour le Prog, celui des origines, du renouveau des années 80 et du constat renouvellement qui prévaut depuis. Sans prétendre aucunement être un spécialiste, encore moins un encyclopédiste du Prog, je pense pouvoir vous dire en quoi cet album m’a envoûté.
Quelques notions biographiques donc. Si le TESUJI qui accouche de ce premier album est de facto un simple duo, c’est bel et bien un trio qui a ouvert le bal en 2010 avec Time, un EP riche de cinq titres. Aujourd’hui, le chanteur et multi-instrumentiste Eddy Albert (en charge de la guitare, des claviers et de la batterie) et Julien Delacroix (basse) affichent une identité qui, sans être révolutionnaire, n’en convoque pas moins pas mal d’influences, afin de mieux les fondre dans leur projet. Le tout avec beaucoup de maîtrise dans l’interprétation et dans la composition, avec ce type de recul qui permet un investissement encore plus profond : cela s’appelle assumer ses influences, pour mieux les assimiler au profit de sa propre expression.
Affirmons d’emblée que, si la musique du duo s’inscrit sans peine dans la vaste famille du Prog, elle n’en adopte pour autant pas certains traits caractéristiques, parfois encombrants : pas de morceau labyrinthique à la durée impressionnante, pas de démonstration instrumentale, pas de chant haut perché, pas de concept alambiqué… Les compositions affichent des durées raisonnables (pas plus de huit minutes) et privilégient des approches subtiles, voire intimistes, le tout sur des tempos majoritairement lents. On est un peu dans l’esprit du Neo prog des années 80 : plus de concision, moins d’exhibition. Sous les apparences d’un certain dépouillement (selon les critères Prog !), TESUJI n’exclue aucunement un certain degré de sophistication, bien au contraire. Dépouillement, limpidité mélodique, le tout concrétisé par des guitares majoritairement en son clair et des guitares acoustiques.
Par un art du contrepied habile, Eddy Albert sait muscler son jeu de guitare, en alignant des riffs pêchus (compatibles avec un Rock, voire un Hard Rock mélodique), voire nerveux et tendus (en mode Prog Metal). Quant aux solos, le bonhomme se plaît à alterner des interventions misant avant tout sur la mélodie et le feeling, tout en se montrer capable d’incises plus véloces et percutantes. Bref, notre six-cordiste évolue avec équilibre entre orfèvrerie (option prégnante) et ferronnerie (histoire de ne pas perdre la main).
Dans ses œuvres, il est soutenu par un (vrai-faux) couple rythmique on ne peut plus souple et intraitable. Dans la douceur comme dans les passages plus intenses, le bassiste Julien Delacroix assure le fond de terrain, voire la première ligne, grâce à un jeu aux sonorités rondes, mais dont les développements s’avèrent agiles et diablement adaptatifs.
Autre élément instrumental distinctif, les claviers d’Eddy Albert peuvent tout autant produire des sonorités vintage typiques du prog des années 70, comme adopter des tournures discrètement jazzy, cette versatilité bien dosée permettant une plus grande variété.
Du côté vocal, Eddy Albert développe un registre médium posé, grandement axé sur la mélodie et les émotions, avec des arrangements qui évoquent le meilleur de l’AOR. Pour pimenter le tout, TESUJI a invité deux chanteurs de grande classe : Goran Edman (Yngwie Malmsteen, KARMAKANIC, BRAZEN ABBOT, GLORY, SIGNUM REGIS…) livre une prestation frissonnante sur « Night Train », tandis que Marco Basile (du groupe de Prog Metal italien DGM) illumine « Into The Sun ».
Avec ce premier album, TESUJI impressionne par sa maturité, par sa subtilité et par les qualités des compositions, de leurs arrangements et de leur interprétation. Somptueux !
Alain Lavanne
Date de sortie: 01/11/2024
Label: M&O Music
Style: Rock progressif
Note: 17,5/20
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