L’expression « retour aux sources » est l’un des plus galvaudées dans l’univers musical ; elle a tellement été utilisée par des artistes ayant perdu tout ou partie de leur inspiration et de leur public et souhaitant persuader celui-ci qu’il va retrouver enfin ses sensations d’antan, que le feu sacré est de retour. Même si la biographie qui accompagne « La Morsure du Christ » établit un lien explicite entre ce sixième album studio et le premier opus, « Les Blessures de l’âme », séminal début datant de 1998, il est impossible d’assimiler SETH version 2021 à ces pitoyables formations capitalisant sur leur passé.
Entendons-nous bien : « La Morsure du Christ » est porteur d’un classicisme certain, de références à une certaine conception du Black Metal remontant aux années 90, à la fois féroce et altier. Pour autant, SETH n’est à aucun moment passéiste ; disons que ce groupe assume son identité première, avec toute la force de l’expérience accumulée, avec un aplomb et une maîtrise que seule – osons lâcher le mot – la maturité permet. Maturité certes, mais une même flamme sulfrée anime encore et toujours le combo (qui compte deux membres originels en ses rangs, à savoir le guitariste Heimoth et le batteur Alsvid).
Preuve évidente que la motivation blasphématoire demeure vivace, le concept propre à l’album tourne autour de l’incendie de la cathédrale Notre Dame de Paris, symbole d’un dieu qui n’a pas su protéger son temple. Malicieusement, le groupe souligne que, phonétiquement, on peut aussi entendre « la mort sûre du Christ ». L’humour Black Metal, j’adore ! A telle enseigne que j’ai acheté la version collector, soit un beau boîtier en bois comprenant, outre l’album, une boîte d’allumettes, un sachet comprenant des cendres du fatal incendie et un magnet (histoire de caler la liste des courses du parfait incendiaire sur la porte du frigo).
Il est temps d’en arriver au principal, la musique. En la matière, SETH découpe, tranche à vif, cogne très fort. En témoigne l’introduction brutalement blastée du titre éponyme. On en profite pour saluer la performance ô combien intense et variée d’Alsvid, batteur au jeu puissant mais aussi varié et fourmillant de détails. Qui plus est, le son fuit la sécheresse minimaliste trop souvent de mise dans le Black Metal, au profit d’une approche pleine et conquérante.
Bien que moins prééminentes dans le paysage, les lignes de basse de son collègue de section rythmique ESX demeurent plus audibles que sur quantité d’albums de Black Metal, avec pour effet palpable d’apporter une certaine épaisseur, tout autant que d’augmenter une tension dans ce secteur de jeu.
D’ailleurs, on comprend vite que, sur le plan rythmique, nous aurons droit à une grande variété de rythmes et de tempos, chaque composition proposant des structures cohérentes imbriquant des séquences multiples. Exactement selon le principe de la crème du Heavy Metal depuis les années 80 (IRON MAIDEN, MERCYFUL FATE), mais au service du Black Metal. Cette profusion d’ambiances, ces dispositifs à tiroirs, ne se réalisent pourtant pas au détriment de l’efficacité intrinsèque et de la lisibilité de l’ensemble. Chaque morceau fourmille de rythmiques accrocheuses, d’arrangements mélodiques aussi sournois qu’efficaces. Les écoutes réitérées s’imposent pour absorber la richesse de cet album.
Richesse largement alimentée par la performance des deux guitaristes, le vétéran Heimoth et son nouveau camarade de jeu Drakhian (ancien de chez LOUDBLAST). Les deux compères offrent un large panel qui s’étend des classiques riffs en trémolos si caractéristiques du Black Metal à des passages ostensiblement plus paisibles et mélodiques, en passant par des riffs tranchants au possible. Le tout rendu absolument distinct par le mixage émérite de Francis Caste.
En rythmique, le tandem assène très distinctement ses riffs, multipliant les plans marquants d’efficacité, impressionnant par sa précision, sans toutefois céder aux facilités d’un son clinique.
Afin de clore le chapitre instrumental, n’oublions pas les arrangements de claviers prodigués par Pierre Le Pape (MELTED SPACE, EMBRYONIC CELLS, ancien de WORMFOOD) Notre homme fuit les orchestrations par trop pompeuses, refuse de siphonner les bandes originales de films, en somme ne tire pas SETH vers DIMMU BORGIR ou CRADLE OF FILTH. Il apporte une touche solennelle et gothique, volontairement datée, les sonorités proposées évoquant les synthés des années 80 et 90. Dans la version collector contenue dans le boîtier en bois, les deux titres bonus honorent le travail du claviériste, puisqu’il s’agit de versions orchestrales des titres « Les océans du vide » et « Sacrifice de sang ».
Enfin, nous avons gardé pour la bonne bouche le chapitre vocal. Débutons en saluant le gros travail réalisé dans l’écriture des textes. Rédigés en alexandrins, ils refusent toutefois la pompe verbeuse et la sophistication pédante, se focalisant vers un rendu tout à la fois exigeant et propice à exprimer avec efficacité et aigreur toute la charge blasphématoire qui suppure de cet album. Du point de vue de l’interprétation, l’équilibre entre efficacité fielleuse et charge dramatique tutoie la perfection. En conséquence de quoi, les vocaux se font fort logiquement abrasifs et violents, tout en demeurant suffisamment distincts et articulés afin de ne pas transformer le tout en un flot indistinct et indigeste de borborygmes laryngés. Grosse maîtrise, gros effet…
Vous l’aurez compris, SETH frappe un grand coup avec « La morsure du Christ », mettant ses élans initiaux au service d’une mise en forme impeccable et vibrante. Dans le cas présent, le fiel fondamental se trouve sublimé par la qualité des compositions et des arrangements, la maîtrise de l’interprétation, la pertinence de la mise en son. Un grand album de Black Metal qui combine trivialité bestiale et élévation ambitieuse. J’ose, un grand album de Metal tout court.
Alain Lavanne
Date de sortie: 07/05/2021
Label: Season Of Mist
Style: Black Métal
Note: 18,5/20
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