« Altering Fates and Destinies » est le neuvième album studio de LOUDBLAST. Neuf albums depuis sa formation en 1985, cela fait finalement peu en quarante ans d’existence (même s’il faut décompter la séparation en 1999 et 2022). Cela dit, nous conviendrons que cette parcimonie relative ne s’avère aucunement rédhibitoire, au vu de la qualité des albums délivrés. Le fait est que LOUDBLAST a toujours veillé à proposer une version évolutive du Death Metal. On aime ou pas ces progressions ou variations : Thrash Death encore impersonnel sur l’initial « Sensorial Treatment » (1989), Death très mélodique sur « Fragments » (1998), nettement plus sombre, voire teinté de Black sur « Burial Ground » (2014). Chez LOUDBLAST, c’est à coup sûr l’assurance de nombreuses nuances de Death Metal.
Après un « Manifesto » (2020) équilibré entre brutalité, aigreur et assortissements mélodiques, « Altering Fates and Destinies » préserve plus que jamais la clarté générale du son, permettant une équitable exposition de chaque élément : vocaux gutturaux et impériaux – à vrai dire fondamentaux – mais toujours clairement articulés et modulés de Stéphane Buriez. Riffs bien détourés du boss Buriez, solos de guitare brefs, incisifs et mélodiquement bâtis (apparemment essentiellement assurés par Fred Leclercq, assurément essentiel ces temps-ci), lignes de basse tendues du même LECLERQ (ex-DRAGONFORCE, KREATOR, expert en la matière), batterie intense et millimétrée de Nico Muller (ARTEFACT, OTARGOS, SVART CROWN, HYRGAL, KRAGENS…). Concernant ce dernier registre, sans infliger le moindre reproche à la prestation droite et impeccable de Nico MULLER, absolument impeccable de solidité, je ne peux m’empêcher de regretter cette unité de groupe qu’assurait de longue date ce têtu d’Hervé Coquerel, forte tête nordiste, nourrie à la Jeanlain mais surtout adepte d’un jeu dynamique et instinctif.
Foin de finasseries d’anciens combattants. Certes, il m’arrive d’encore porter fièrement aujourd’hui des tee-shirts datant des primes époques, notamment le « Disincarnate » avec le Polonais maître absolu du visuel fantastique réaliste Siudmak et la version manches longues initiales de « Sublime Dementia ». Cela fait suffisamment de temps que j’achète avec plaisir mes exemplaires physiques des albums de LOUDBLAST pour m’estimer libre de toute dépendance. Le groupe ne vient pas de délivrer son ultime chef d’œuvre mais ajoute à une liste déjà conséquente un nouvel album de Death Metal, équilibrant idéalement férocité, lourdeur et inserts mélodiques.
Le fait est que l’ensemble de l’album se caractérise par une prédominance des tempos lents et médiums, bien loin des précipitations bourrines si fondamentalement typiques du Death Metal, et donc des prurits initiaux du combo nordiste. Qu’on me permette de souligner une constante dans la discographie de LOUDBLAST, à savoir le refus de la brutalité aveugle et de la vitesse immodérée (d’où le désamour assez généralisé à l’encontre du trop unidimensionnel « Planet Pandemonium »). Bien que profondément investi dans le dispositif fondamental du Death Metal, LOUDBLAST a toujours cherché à en éprouver les paramètres, afin d’y injecter des structures rythmiques nettes et accrocheuses, des solos de guitare mélodiques et /ou techniques, ainsi que des repères vocaux efficaces, ne se résumant pas une longue diatribe goudronneuse et caverneuse.
D’aucuns ont invoqué la lourdeur du Doom Metal pour qualifier « Altering Fates and Destinies ». Le fait est que le tempo prédominant sur l’ensemble de l’album s’éloigne drastiquement de l’approche épileptique ou massive, propre aux origines du genre. Pour autant, Nico Muller parvient à imposer un jeu très intense, précis et évolutif, plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord. Point de plans bourrins ici, juste le souci de délivrer la charpente rythmique adéquate, solide sans être épaisse, mouvante sans devenir absconse. Quand bien même je ne reprends pas le qualificatif de Doom lâché dès que le tempo se ralentit quelque peu, je confirme que LOUDBLAST version 2024 prend davantage son temps pour exposer ses rythmiques inexorablement éreintantes.
Admettons cependant que « Fortress » (le titre le plus long du lot, quoique dépassant de peu 5’30) s’inspire ostensiblement du Doom Death originel des années 90. Hormis cet écrasant et imposant exercice de style, tout en tenant compte des nombreux passages lents, il faut admettre que LOUDBLAST évolue sur cet album bien loin des outrances les plus frénétiques du Death Metal, façon rouleau compresseur. A contraire, la bande à BURIEZ privilégie systématiquement l’exposé méticuleux des motifs rythmiques et des mélodies (via les guitares solos), savamment détourés. Justement parce que LOUDBLAST refuse de se resigner prisonnier de la double outrance de la lourdeur et de l’épaisseur – pourtant consubstantielle au Death Metal – le fait est que son Death désossé, ramassé et musculeux tape droit à l’essentiel. Comme les Spartiates de 300, il excelle dans le combat individuel, comme le combat en formation rapprochée. LOUDBLAST choisit le terrain d’affrontement : limpidité mélodique des guitares, férocité vocale, sécheresse rythmique imparable, concision de compositions ultra-efficaces et percutantes, production âpre et crépitante, mixage dynamique et détaillé… Dans ces conditions, personne ne passe les Thermopyles si LOUDBLAST les défend, je vous le garantis !
Au total, « Altering Fates and Destinies » s’impose comme un album extrêmement articulé et pensé – y compris autour de ses impossibilités : le batteur historique Hervé Coquerel rechignant au travail en studio (d’où l’abattage méticuleux de Nico Muller) et le guitariste Jérôme Point-Canovas davantage mobilisé sur un plan personnel – Fred Leclercq, décidément multifonctionnel, assurant la relève sur les solos ultra-mélodiques (très typés Heavy Metal). Le fait est que « Altering Fates and Destinies » s’impose comme un album essentiellement rythmique, dont les nuances et les profondeurs – notamment mélodiques – nécessitent des explorations successives, avant de délivrer toutes leurs paradoxales nuances, à la croisée des mythiques MORBID ANGEL et MERCYFUL FATE. Prenant en mode prise direct, tout en demeurant passionnant dans la profondeur et dans la durée, cet album me plaît d’autant plus que Stéphane Buriez n’a pas céder à la facilité, à savoir un pseudo-retour au son originel, sous prétexte d’anniversaire. Vade retro naphtaline !
A l’approche du cap des quatre décennies d’existence, LOUDBLAST va inévitablement se trouver confronté aux tentatives de bilan rétrospectif et va être renvoyé, à juste titre, à son troisième et référentiel album, « Sublime Dementia » (qui pratiquait en 1993 un Death Metal aussi équilibré entre technique et efficacité, entre âpreté primordiale et limpidité mélodique ?!). Sûrement le patron Stéphane Buriez est-il conscient de cette quasi-impossibilité de reconstituer une concordance entre une inspiration, une époque et l’état d’un sous-genre. Aussi a-t ’il vraisemblablement opté pour l’approche la plus honnête et, finalement, la plus intéressante pour le fan sincère : n’en faire qu’à sa tête et aligner des albums impeccables, sincères et variés, qui constituent autant de variations palpitantes autour du sous-genre Death Metal. Ultra total respect en ce qui me concerne… Plus lent, plus brutal, plus mélodique, tant que la patte LOUDBLAST demeure, je demeure preneur. En route pour le demi-siècle !
Alain Lavanne
Date de sortie: 25/10/2024
Label: Listenable
Style: Death Metal
Note: 18/20
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