Chez KAOSGUARDS nous tenons à soutenir ceux qui au prix d’efforts colossaux font découvrir, poussent, se passionnent pour les groupes underground. FROZEN RECORDS est un jeune label français qui souhaite s’ancrer dans les musiques alternatives noires, aidé en cela par des productions de haute tenue. Nous avons voulu donc proposer à ce militant de la cause obscure de nous exposer ses vues. Il ne tient désormais qu’au public de soutenir cette initiative qui mérite un respect sans borne. La balle est dans votre camp, alors partons sans plus tarder à la rencontre d’un activiste…
1) Bonjour à toi! Tout d’abord, merci d’avoir accepté cette interview, peux-tu te présenter, pour commencer ?
Hello, moi c’est Paul. Je suis un des 2 co-gérants de Frozen Records, label, disquaire, organisateur de concerts, tout ça en complète indépendance à Nantes. On est spécialisé dans les musiques extrêmes : Metal/Hardcore/Punk/Post-Punk/Synthwave/Neo-Folk etc. Mon acolyte s’appelle Eddy. On héberge aussi un shop de tattoo dans nos locaux, Frozen Tattoos. Je suis aussi chanteur et percussionniste dans Ætheria Conscientia, groupe de Black Metal Progressif nantais.
2) Frozen Records, cela représente quoi pour toi ?
Énormément de temps et d’efforts ahaha! C’est mon bébé, enfin notre bébé avec Eddy, on a tout donné à Frozen, pour en faire quelque chose qui fait du bien aux gens, qui leur fait plaisir et leur permet de se changer les idées. On se donne au max et on ne se repose jamais sur nos acquis pour toujours surprendre les gens et leur proposer de la distro pointue au meilleur prix, des sorties label variées, de qualité, avec des belles éditions physiques, du merch cool, des orgas de concert millimétrées avec des line up soignés pour que public, artistes et crew passent des bonnes soirées, le tout à prix cool parce que la culture doit être accessible à tout le monde, ça ne doit pas devenir un truc de bourgeois. On veut juste que tout ce qui touche à “Frozen” soit une garantie de qualité, d’éthique et d’inclusivité en vrai. Donc on se donne au max et jusque là les gens nous le rendent à mille pour cent.
3) Quelle est ton ambition pour le label moyen-long terme ?
Le label a vraiment bien tourné cette année, 12 sorties au compteur pour 2024. On a 26 artistes sur le roster, (une partie n’est pas encore annoncée), que des groupes français pour le moment et ça nous plait bien de montrer que la scène française est pleine de vrais talents et qu’on n’est pas aussi nul en rock que les anglais le pensent ahaha. Par la suite on aimerait éventuellement sortir de ce 100% franco-français, histoire de varier un peu, peut-être lancer une antenne booking pour les groupes du label. On aimerait aussi commencer à taffer avec des artistes déjà bien installés sur la scène internationale, pour se prouver à nous-mêmes qu’on est capable de gérer des gros volumes et le fait de taffer avec un management. Enfin bref, toujours plein d’idées, toujours plein de projets.
4) Quelle est l’importance du merch en dehors de la sortie des cds ?
Pour les groupes sur leur table de merch et l’économie de tournée, c’est primordial parce que tout le monde porte des fringues alors que tout le monde n’achète pas des disques et tout le monde sait que l’économie des groupes dans les scènes underground est méga précaire, que les groupes sont payés au lance-pierre parce qu’il n’y a pas de thunes, pas de subvention, donc le merch c’est ce qui fait que la scène subsiste financièrement. En plus ça fait de la pub gratuite quand les gens portent ton merch. Pour nous en tant que label, ça reste bien plus minime que les ventes de disques, je ne sais pas ce qu’il en est pour les autres labels mais la majorité de ce qu’on produit est vendu lors des concerts des groupes, sur leur table de merch ou sur notre stand quand les groupes jouent sur des fests !
5) Explique nous comment tu travailles tes sorties et tes distros. Y mets-tu la même énergie …ou pas ?
Pour la distro, on essaie de suivre au max les sorties et de jeter une oreille à tout, au moins 30 secondes. On bosse avec une cinquantaine de labels et de distributeurs, pour essayer d’avoir une
sélection super pointue, au prix le plus bas possible et qui change tout le temps. Si tu viens au magasin et que tu reviens 2 mois après, au moins la moitié des disques sera différente, on trouve ça
plus sympa que de toujours proposer la même chose. On fait aussi un petit travail de recherche pour vérifier que ce qu’on vend c’est à peu près clean éthiquement, parce qu’on n’a pas envie de vendre de la musique jouée par des ordures aux kids qui viennent au shop. Pour le label on n’a pas de DA vraiment précise. Quand un projet nous parle, quel que soit le style (tant que ça reste dans nos esthétiques), que les humains derrière sont cools et qu’on pense que le groupe a ce qu’il faut pour fonctionner, on fonce (si on a de la place dans le calendrier). On bosse main dans la main avec le groupe pour designer des objets cools, leur faire un peu de graphisme, voir sur quel(s) support(s) on sort l’album, quel merch on fait printer, faire de la relation presse, un plan promo, organiser des signing sessions, essayer de faire booker les groupes sur des fests où on pose des stands, etc. On accompagne les groupe avant, pendant et après la sortie, c’est super cliché et énervant comme phrase, mais je vois vraiment tous les artistes du label comme une grande famille Frozen où tout le monde est content de bosser ensemble, les artistes font des collabs entre eux, tournent ensemble, on devient amis au delà de collègues, bref, une ambiance à la cool mais du taff carré ! Donc on met de l’énergie dans tout, mais le label c’est plus personnel quoi !
6) Tu penses quoi de l’émergence des genres underground ?
Je ne suis pas sûr de capter ce que tu attends comme réponse donc je vais faire un laïus désolé si ce n’était pas ça la question ! Je pense très honnêtement que presque tout ce qui est méga grand public et qui fonctionne vraiment aujourd’hui est chiant comme la pluie. Personne ne prend plus de risque dans le mainstream, tout est plat, lisse et juste planqué sous une jolie DA, je pense par exemple à Sleep Token qui cartonne aujourd’hui, ou les derniers Ghost, je dis pas que c’est nul hein, juste que ça ne prend aucun risque. Je capte le truc hein, c’est facile d’écoute, tu le mets dans ta playlist spotify, pendant que tu taffes, et tu l’oublies aussi vite que tu l’as découvert, c’est du consommable, du facile. Et pour les groupes c’est s’assurer de ne perdre personne en route avec de la musique trop difficile à digérer, trop bizarre ou trop agressive et donc d’être écouté par un large public, et d’être bankable. Et ça se comprend, c’est tellement difficile de vivre purement de la musique aujourd’hui. Pendant ce temps dans l’underground quasi tout le monde sait que gagner sa vie là dedans, c’est un doux rêve, donc tu as une myriade de projets qui tentent des trucs, des trucs osés, novateurs, originaux, parfois totalement inécoutables mais qui ont le mérite de prendre des risques, de pas chercher à être consensuels et je pense que la créativité, la vraie, elle est là, dans tous ces petits groupes, ces petits projets qui tentent des trucs sans se soucier du facteur argent. Tu as une myriade de genres et de sous genres, de micros scènes qui naissent, évoluent, meurent, parfois t’as un truc qui pète et qui devient énorme, souvent ça devient chiant, parfois ça reste vénère. Comment ça fait plaisir de voir des trucs comme Knocked Loose péter, passer chez Jimmy Kimmel et choquer les tradis américains.
Donc ouai, le fourmillement de l’underground pour moi c’est un peu le gardien de la créativité artistique, parfois ça part un peu loin, avec des trucs invraisemblables genre du Neo-Babylonian Aquatic Brutal Death Metal (je dis n’importe quoi hein c’est pour imager) mais faut chérir tout ça, faut soutenir l’underground, les petits groupes, les petites salles, les petits concerts, parce que sans ça on se ferait méga chier. J’espère que je passe pas trop pour un boomer qui râle ahahah.
7) En tant que label, comment perçois-tu l’utilisation de l’IA ?
Les groupes qui te font des pochettes full IA, c’est une honte, surtout quand ils ont du budget, coucou Pestilence, coucou Deicide. C’est moche, c’est cramé à 10 bornes et c’est absolument pas éthique. Si t’as pas de thune, va sur Fiverr, embauche un type à l’autre bout du monde qui te fera un artwork pour 50 balles. C’est toujours pas ouf comme move mais c’est déjà moins crade au moins c’est fait par un artiste et il pourra remplir son frigo. Si t’es fier de ta musique, de ce que tu as produit, comment peux-tu refuser de mettre de la thune ou du moins de l’énergie dans l’artwork qui sera l’identité visuelle de ton album pour toujours. La musique en IA on ne va même pas en parler je vais m’énerver. Par contre, l’IA c’est pas complètement à jeter à la poubelle non plus quand tu t’en sers comme outil uniquement. Si tu t’en sers pour filer un moodboard à un artiste derrière pourquoi pas, ou pour créer des textures, faire des collages avec, distordre le résultat pour en faire quelque chose d’autre, créer des trucs à partir de bouts d’IA c’est un peu reprendre la main sur la machine, je trouve l’idée stylée.
8) Quels sont les trois artistes qui t’ont marqués en 2024 ?
On parlait tout à l’heure de prise de risque et de créativité, le dernier Ulcerate, j’ai pris une sacrée claque, c’est presque inhumain comme musique, le dernier Oranssi Pazuzu aussi, j’ai rien compris, c’est hyper noisy indus, incroyable, comme toujours et sinon le premier album de Zetra, duo Goth-Metal/Shoegaze/Coldwave avec une DA mi Black Metal mi Witchy, j’ai fais tourner le disque un nombre incalculable de fois, ça tape direct dans le mille chez moi, c’est hyper mélancolique.
9) Et ceux que tu attends avec impatience en 2025…
Bonne question, hâte de poser une oreille sur le prochain disque des potes de Fange qui balancent du lourd quasi tous les ans ces grands malades, j’ai vu qu’il y allait y avoir un nouveau Nostromo, ça je suis méga hypé j’avais adoré Bucephale, je suppose qu’il y aura un nouveau Blut Aus Nord vu la productivité de Vindsval, bien curieux aussi, c’est vraiment un des projets les plus intéressant de la scène Black Metal qui tente des trucs, quasi un sans faute à mes yeux.
10) Tu souhaites signer quel(s) artiste(s) sur le label ?
Bonne question, il y a beaucoup de monde avec qui je bosserais bien, ça viendra au fur et à mesure, mais si je dois te donner 2 noms là comme ça j’aimerais bien travailler un jour avec des groupes comme Birds In Row ou Alcest, de quelque manière que ce soit, ce sont de grands artistes avec une vraie patte, une vraie originalité, un grand sérieux en plus d’être des humains vraiment chouettes, bon je tape haut, mais un jour pourquoi pas, sait on jamais !
11) Tu es basé à Nantes le HELLFEST a-t-il changé la configuration de la musique électrique de la région ?
Je pense que le Hellfest a entraîné pas mal de choses dans son sillage, que ça a aidé à placer Nantes, La Roche Sur Yon, Rennes, des villes pas éloignées sur la carte des tournées, même si depuis le Brexit c’est devenu plus compliqué. Ça a sûrement permis à beaucoup de gens de la région de découvrir ces esthétiques et ça a sûrement inspiré beaucoup de monde à lancer son propre projet. On a une scène assez solide à Nantes avec des salles comme le Ferrailleur ou Cold Crash et beaucoup de groupes qualitatifs. Ça a sûrement aussi poussé beaucoup de monde dans la région à lancer son festival, on est assez chanceux là-dessus dans le grand Ouest.
12) Tu organises des Frozen Night. Parles nous en.
On organise effectivement des soirées concert (les Frozen Nights), à Nantes mais pas que, on en a fait une à Bordeaux il y a peu de temps, avec souvent des groupes du label parmi le line-up mais pas toujours. On aime bien faire des soirées avec pas mal de groupes, au moins 3 dans des esthétiques différentes mais avec un mood général cohérent, par exemple on avait fait Fange, Worst Doubt et Mourir, Sludge Indus, Metal Hardcore et Black Metal, sur le papier tu te dis quelle drôle d’idée, mais c’est 3 groupes bien street, frontaux et ça a cartonné, ça permet de varier les ambiances et de pas lasser le public. On organise aussi une fois par an le Frozen Fest, sur plusieurs jours, au Ferrailleur pour l’anniversaire de Frozen au début de l’été, l’année dernière on a fait 10 groupes en 2 jours, cette année je spoile pas, mais on met les petits plats dans les grands pour nos 5 ans !
13) Quelle est la suite pour ta structure ?
Continuer de se développer, de professionnaliser chaque aspect de notre taff, pour toujours essayer de proposer le meilleur aux gens. On a un nouveau résident tattoo qui est arrivé en janvier là, Phantom, un tueur ! Sinon courant 2025 on va déménager les locaux dans plus grand, essayer de faire plus d’orgas, niveau label on a des jolies choses qui arrivent, poser des stands sur des fests plus loin de chez nous. On va être bien occupés encore !
14) Pour finir, quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui veut faire carrière dans la musique ?
De ne pas le faire ahahaha, en tant que musicien, c’est de l’ordre de l’impossible, surtout dans les musiques qu’on fait, ou alors faut vraiment s’accrocher et cumuler les activités. Je pense sincèrement qu’aujourd’hui il faut mieux songer à l’associatif, garder la musique comme passion, et avoir des rentrées d’argent d’une autre activité parce que c’est méga précaire, très difficile d’en vivre et ça peut vite être démotivant. Et pour les disquaires, labels, orgas, journalistes, pareil, t’es pas à l’abri d’un jour pouvoir commencer à en vivre, mais c’est rare, faut se donner de ouf, taffer comme un malade pour peu de retour. Et encore faut avoir de la chance! Ça arrive à certains, genre nous on en vit, mais si je vous dis combien d’heures par semaine on bosse pour ce qu’on gagne au final, ça va vous déprimer. La passion est là, ça fait du bien aux gens, ils nous le rendent bien et c’est le principal. On fait ça pour le Rock ! Merci d’avoir lu jusque là toutes les bêtises que j’ai à raconter et merci pour l’interview, à une prochaine.
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