Je ne chercherai même pas à le cacher, même pas à le minorer : je suis totalement converti à la musique de ce groupe américain (côte est, New York). Depuis la diffusion du premier album sans titre en – uniquement en format numérique, grosse frustration -, j’ai totalement succombé au projet de SHADOW WITCH, mêlant Heavy Metal originel, arrangements électroniques dignes du Space Rock, ainsi qu’influences Hard Rock et Blues Rock. Depuis, deux autres albums ont paru, gagnant en assurance et en intensité. Si l’on a fait preuve d’excellence dans les premiers pas, comment ne pas décevoir, comment ne pas interrompre une progression, faite d’inspiration renouvelée et de maîtrise affirmée ? Face à l’épaississement du propos musical du groupe, nos appréciations sur les second et troisième albums demeurèrent éminemment positifs. Restait à savoir quelle direction le groupe allait prendre…
L’indice initial que constitue le morceau d’ouverture, « Speedy Goes To Sludgetown », s’avère être une feinte partielle. Faisant croire à une adhésion totale au Sludge, le groupe démarre puissamment par un titre quasi-instrumental : riff de teigne, à la fois gras et rugueux, basse énorme, batterie ultra-sèche, ça pousse autant ça tranche, quelques vocaux hypnotiques et saturés s’invitant avant la fin précoce. En moins d’1’20, l’auditeur a été happé et bousculé.
Mais, surprise, le morceau suivant, « Satellites », avance prudemment, basé sur un riff ténu et simplissime, presqu’archaïque : on évolue pleinement dans du Hard Rock basique, l’orage n’explosant que ponctuellement, avant que ne s’impose un refrain magnifiquement mélodique, littéralement illuminé par des harmonies vocales célestes.
Si « Tell Me » reconnecte l’auditeur avec un propos intégralement épais et intense, force est de constater que cette rythmique binaire, au groove épais et obsédant, rappelle grandement le Hard Rock australien des années 70 et 80 (AC/DC, THE ANGELS, BUFFALO), augmenté par un emballement rythmique aussi temporaire qu’étourdissant, digne de LED ZEPPELIN et SOUNDGARDEN (le second procédant fortement du premier, faut-il le rappeler ?). Par la suite, impossible d’esquiver les impacts entêtants – rythmique et mélodique – des coups de boule Hard et Heavy comme l’énervé « Nobody » et le mid-tempo orageux « Let It Out » (et son fantastique refrain Soul).
Décidément, rien ne se déroule comme prévu sur cet album ! Pour autant, plusieurs constantes imposent une cohésion à ce disque ostensiblement varié. A la base, tout bon groupe de Rock se doit de posséder une section rythmique solide. Cela tombe bien, car nous tenons deux complices, à la fois très complémentaires et capables d’évoluer distinctement, sans jamais de désunir : paradoxe classique des meilleurs tandems de la décennie 1965-75. Excellent batteur, volatile et puissant, Justin Zipperle peut d’une part marquer sèchement un tempo binaire, conforme aux prérequis du Rock le plus basique. Comme il peut, d’autre part, sans perdre une once de puissance, se mettre à mouliner des toms, de la grosse caisse et des cymbales, rappelant les riches heures de John Bonham (LED ZEPPELIN), Ian Paice (DEEP PURPLE, WHITESNAKE), Tommy Aldridge (BLACK OAK ARKANSAS, Ozzy OSBOURNE, WHITESNAKE). De son côté, le bassiste David Pannullo développe un jeu ambitieux, à la fois totalement collé au batteur et avide d’autonomie, via un son très grave et très épais, particulièrement groovy, un peu comme si Geezer Butler (BLACK SABBATH) avait fait un stage chez SLY & THE FAMILY STONE. C’est bien simple : son occupation volubile des fréquences basses permet à son collègue guitariste de se libérer, notamment en assurant certaines rythmiques en mode acoustique, l’apport de puissance tant largement pourvu par la basse. D’où un gain de variété et de subtilité fort appréciable.
A la guitare donc, Jeremy Hall se montre impérial dans toute la palette de son jeu : riffs épais et toniques, sous-ténement acoustique dynamique, avec une particulière brillance technique et émotive lors de ses solos bluesy, équilibrant à la perfection attaques incisives et sensibilité à fleur de peau. Paul Kossoff (de FREE et BACK STREET CRAWLER), ainsi que l’intégralité des guitaristes de LYNYRD SKYNYRD, ne manqueraient pas d’applaudir à ces interventions aussi incisives que délicates : de l’art de maîtriser le Blues Rock et de l’insérer pour le meilleur dans le Heavy Rock.
Reste à traiter le cas du chanteur Earl Walker Lundy. Sur la base d’un timbre médium, le barbu se montre capable tour à tour de rugir, de feuler, de caresser, sonnant parfois comme une fusion idéale entre David Coverdale (pré-1987, pour le côté Soul) et Ronnie James Dio (pour le côté épique). On peut même évoquer une parenté avec l’immense Paul Rodgers (FREE, BAD COMPANY, THE FIRM QUEEN), pour les intonations Blues et Soul poignantes. Le bonhomme livre une performance impériale tout au long de l’album, s’adaptant à chaque ambiance, fusse-t-elle impérieuse ou, au contraire, intimiste. Quel organe, quel homme !
Reste à traiter les trois derniers morceaux de ce quatrième album. Trois compositions qui émargent toutes au registre des six minutes et quelques. Trois titres, trois fois six minutes et quelques : chacun à sa calculette et le Diable y trouvera son compte ! « Dominus Sanctis Oblivion » débute en mode mid-tempo à base de riff néanderthalien, avec de se cranter sur un gimmick mélodique de guitare (très fortement évocateur de celui qui électrisa le chef d’œuvre « Paschendale » d’IRON MAIDEN (sur l’album « Dance Of Death » de 2003) : chœurs liturgiques, orgue d’époque, tout concourt à un rendu Heavy Soul à tendance progressive de haut niveau. « The Lion And The Lamb » débute doucement, au son de l’orgue et d’instruments acoustiques dépouillés, le chant de Lundy se faisant particulièrement subtil et caressant. Petit à petit, Hall fait monter un orage bluesy, des chœurs venant ponctuellement magnifier les lignes de chant. Enfin, « The Fallen » s’ouvre sur une rythmique épaisse et impérieuse, avant que les couplets ne se fassent plus aérés et mélodiques, le refrain voyant un net retour d’intensité. Une fois de plus, LUNDY se surpasse au micro, maîtrisant à la perfection une dramaturgie vibrante. Quant à la guitare, il suffit de quelques notes déchirantes pour créer un solo qui fait se dresser les poils.
L’évocation succincte des huit compositions de cet album ne vise pas la facilité, mais sert à vous faire comprendre la géniale combinaison de deux critères a priori très distincts, voire opposés : la diversité et la cohérence. En cela, jusque dans sa brièveté relative (pour une durée analogue à celle d’un disque vinyle), « Eschaton (The End Of All Things) » ressemble aux albums de Hard et de Heavy qui ont construit ces genres dans les années 70 et 80. En effet, à l’instar des précurseurs LED ZEPPELIN, DEEP PURPLE, BLACK SABBATH et URIAH HEEP, les disques de RAINBOW, UFO, THIN LIZZY, NAZARETH ou BLUE ÖYSTER CULT contenaient des titres mémorables et très diversifiés ; il n’était pas alors question de pratiquer un style, encore moins un sous-genre, mais bien d’exprimer avec énergie et subtilité des émotions fortes, de susciter des sensations puissantes et euphorisantes par des biais multiples. A mon humble avis, ce disque et ce groupe relèvent d’une catégorie hors normes, tout simplement.
Alain Lavanne
Date de sortie: 21/06/2024
Label: Argonauta
Style: Heavy Hard Stoner Métal
Note: 20/20
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