Nous avions laissé SETH au mieux de sa forme vénéneuse en 2021, à l’occasion de la sortie de son sixième album studio, baptisé « Les Morsures du Christ » (cliquez ici). Moquant rageusement l’incendie d’une certaine cathédrale parisienne, si faiblement protégée par son dieu tutélaire, le groupe prouvait que son capital blasphématoire se trouvait tout à fait intact, voire particulièrement vivace. En 2024, le goût de SETH pour le versant trouble des monuments nationaux de notre Nation s’applique à la Révolution française de 1789. Pas étonnant, quand on sait combien cette période fut trouble, violente, pulvérisant un système monarchique et nobiliaire par un incroyable écheveau de rapports de forces successifs. Très rapidement, les partisans d’une monarchie parlementaire à l’anglaise furent réduits à quia, le principe même de monarque s’effondrant en même temps que roulait sur les pavés de la place de Grève la tête de Louis XVI. Qui plus est, les révolutionnaires de 1789 devinrent rapidement les réactionnaires de leurs contradicteurs (exeunt Mirabeau, Barnave), lesquels furent les victimes de ceux qui furent effrayés par les excès de la Révolution en cours (au revoir Danton, Desmoulins, puis Robespierre, Saint-Just). Sans oublier les violences paysannes à l’encontre des nobles dès 1789, puis les victimes de la guerre civile entre nobles, entre partisans de la Révolution républicaine et réfractaires catholiques (cf les abominations qui eurent lieu, de part et d’autre, en Bretagne et en Vendée, mais pas seulement), contre les troupes étrangères monarchiques coalisées d’une part et les jeunes armées des conscrits de la République d’autre part. Sans compter les innombrables personnes assassinées pour des motifs politiques (Marat, Olympe de Gouges) ou purement crapuleux.
Quant aux brutalités structurelles et symboliques, il n’est qu’à penser à la chute de la monarchie et des structures nobiliaires, sans parler de la sécularisation et de la laïcisation forcenées du pays !
En somme, que voilà un terreau fertile pour un groupe de Black Metal avide d’insanité et de blasphème, ce qu’est fondamentalement SETH, notre serpent Black Metal national. Cela dit, SETH ne prétend aucunement endosser une quelconque blouse noire d’instituteur de la IIIème République et, par conséquent, ne se livre pas à un cours d’Histoire sur la période révolutionnaire française. Assez logiquement par rapport à son passé (passif ?), le vocaliste Saint Vincent propulse avec clarté et hargne des textes en bon et maudit français, s’inscrivant dans une veine à la fois ésotérique et poétique ; la tendance est au romantisme intégral, entendez par-là privilégiant un verbe apprêté et une syntaxe chantournée, au service de propos morbides et transgressifs. Sur le plan vocal, admettons que la performance atteint à la perfection ses buts de guerre, entre souci d’efficacité vénéneuse et audibilité relative.
Sur un plan musical, on ne constate pas de révolution par rapport au brillant opus précédent, mais bien un maintien à un niveau qualitatif fort élevé. Afin de valider le passeport Black Metal, soulignons la capacité du vétéran Heimoth et de son complice plus récent Drakhian (ex-LOUDBLAST) à aligner des riffs acérés, propulsés à haute vélocité, sans jamais céder à la tentation du si typique vrombissement indistinct. De même, la section rythmique, intensément animée par le batteur émérite Alsvid et par le bassiste EsX, maîtrise à la perfection les sections de blastbeats, si intransigeantes dans leur si sèche violence.
Mais, très honnêtement, nous n’aimons pas SETH pour sa capacité à dérouler au kilomètre un Black Meta basique et brutal. Nous apprécions de longue date suivre les reptations puissantes et complexes de ce venimeux serpent. Ainsi, les changements de rythmes et de tempos pullulent, démultipliant les rebondissements dramatiques, sans jamais sacrifier à l’impératif d’efficacité. Qui plus est, la netteté des détours rythmiques et mélodiques des deux guitares évoque immanquablement l’héritage du Heavy Metal traditionnel. Enfin, les claviers de Pierre Le Pape (EMBRYONIC CELLS, MELTED SPACE) ne cessent d’injecter des touches, qui à défaut d’être parfaitement modernistes dans leurs textures, n’en dispensent pas moins de salvatrices plages mélodiques.
L’essentiel de l’album est occupé par des compositions au format plutôt ramassé (un peu au-dessus de cinq minutes), à l’exception du paisible et relativement bref instrumental Marianne (2’39). Vicieusement, SETH a réservé ses deux compositions les plus ambitieuses, en termes de durée, pour la fin, avec « Insurrection » (7’33) et « Le Vin du Condamné » (8’06). Rien d’exorbitant en soi, mais deux belles occasions de ferrailler pleins feux, à haute intensité, avec ce qu’il faut de contrastes et de souffles épiques.
Finalement, je me contrefous que SETH ne prétende pas révolutionner un genre qui, de toute façon, ne demande à l’être. En revanche, en parfaite conformité avec son sujet, le groupe administre merveilleusement une leçon de violence maîtrisée, combinant les classicismes Black et Heavy d’une part, l’envie farouche de tout bousculer sur son passage. Un peu comme une Révolution qui débuta en mode populaire, avant de se faire cornaquer par des bourgeois et des nobles progressistes, vite balayés par des francs révolutionnaires, fussent-ils opportunistes ou intransigeants. Avant peu, le Directoire amena de nouvelles élites au pouvoir, avant qu’un militaire opportuniste, prénommé Napoléon, premier du nom, n’investisse chaque centimètre carré de la vie d’un citoyen, notamment via un Code civil.
Le fait est que, quel que soit le contexte historique ou culturel retenu par le Serpent, le groupement humain (?) dénommé SETH parvient encore et toujours à produire un Black Metal aussi vénéneux que racé, susceptible de perpétuer un culte aussi insane que salvateur. Hosanna au plus profond de l’immondice humain…
Alain Lavanne
Date de sortie: 14/O7/2024
Label: Season of Mist
Style: Black Métal
Note: 18,5/20
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