Autant le dire d’emblée : quand j’ai constaté que le cinquième du quintette bruxellois CULT OF ERINYES ne comprenait que deux compositions – chacune durant plus de vingt minutes -, j’ai eu peur. Le Rock progressif des années 70 a dû faire face à ses propres ambitions, en termes de performance instrumentale et de compositions ambitieuses. Ces deux paramètres constituaient certes les fondements d’un style axé sur la maîtrise technique, combinée à l’esprit d’exploration. De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, comme la proclama Danton. Certes, mais force est de constater que mêmes les meilleurs se perdirent quelque peu dans ces monuments riches, complexes, intenses, mais parfois un peu vains, dénués de repères rythmiques ou mélodiques. Il n’est qu’à se remémorer l’approche pas vraiment facile d’albums de YES comme « Tales From Topographic Oceans » (1973, double album, à raison d’un seul titre par face) ou « Relayer » (1974, la première face étant occupée par le titre « The Gates Of Delirium », dépassant les 21 minutes). Moins connue, la seconde face de « Pawn Hearts » (1971) de VAN DER GRAAF GENERATOR était occupée par un unique titre. En matière de Metal progressif ou de Rock progressif contemporain, des groupes majeurs ont commis des pavés, plus ou moins digestes ; DREAM THEATER et TRANSATLANTIC ont commis de beaux exploits, mais également se sont égarés dans la complexité et la démonstration.
Concernant le Metal extrême, plusieurs exemples peuvent servir de base de réflexion. En 1996, le groupe suédois de Death Metal livre avec « Crimson » un unique titre éponyme, long de 40 minutes. Album culte pour certains, boursouflure pour d’autres. Dans les zones Stoner, on relèvera surtout le troisième album de SLEEP, d’abord paru en version tronquée sous le titre « Jerusalem » (1998, soit une unique pièce de 52’ !) ; laquelle devait être finalement dévoilée en 2003 dans son format originellement souhaité sous le titre légèrement tendancieux de « Dopesmoker », dans une version de 63’ (pas mieux !).

Que de détours avant d’en arriver à l’appréciation du nouvel album de CULT OF ERINYES ! Mais, diantre, n’aurais-je pas droit à moultes circonvolutions afin de mieux appréhender un artefact aussi impressionnant que ces deux monolithes noirs que sont « Death And The Voyage » et « Eternity In A Second » ? Devrais-je me restreindre dans mon jugement, a fortiori pour rendre compte d’une œuvre imposante et complexe ? Que nenni !

Cependant, il est hors de question de disséquer les deux compositions ad nauseam. Il est de la responsabilité de chaque personne s’engageant dans la découverte de ce double monolithe d’en explorer innombrables recoins. Plantons un premier repère important : le tandem qui constitue « Metempsychosis » relève bel et bien du Black Metal. Même si les formats on ne peut plus généreux permettent d’envisager du Black Metal lourdement orchestré, voire symphonique, il n’en est rien, fort heureusement ! Demeure intacte chez CULT OF ERINYES l’envie d’écorcher douloureusement, de violenter sèchement, d’agresser au plus près de la victime. Pur esprit Black Metal, donc.
Fort logiquement, le jeu de batterie roide, presque martial, propulse efficacement les nombreuses séquences en mode blast beats, de même qu’il ponctue froidement les séquences lentes et magistrales. Lui manque cependant un semblant de souplesse, de liant, on ne saurait dire de groove, qui fait si terriblement mouche chez SATYRICON (par exemple). Il n’empêche que, d’un point de vue strictement efficient, ça tabasse sévèrement, de manière particulièrement mécanique. Donc acte.
Fort logiquement, sur un cadre rythmique majoritairement martial, des riffs typiques des schémas basiques du Black Metal, au premier rang desquels les éternels riffs en trémolo, particulièrement acides et acérés. Bien que très présents et durs à l’impact (par la grâce d’un mixage particulièrement détaillé et pertinent), ce dispositif de riffs ne rend aucunement compte définitivement de la diversité des postures sollicitant les six cordes sur cet album. C’est ainsi que l’on trouvera à foison des incises aux mélodies malsaines, des leads aux mélodies simples et accrocheuses. La palette guitaristique s’expose comme un florilège foncièrement hostile et asocial, néanmoins passionnant quant à sa diversité, riche en contrastes rudes, convoquant l’orthodoxie rude et obsédante du Black Metal (riffs en trémolo) et la mélodicité du Heavy Metal. L’apport mélodique via la guitare lead s’impose derechef via les attaques ciblées de Baron, toujours soucieux d’imposer dans la tornade rythmique abrasive et acide des repères mélodiques simples, qui scintillent comme autant de phares

Forcément essentiel quand il s’agit de Black Metal, les vocaux constituent de fait une pierre de taille. Assurés par l’homme à mille incarnations, Déhà, les lignes vocales assurent sans faillir des registres aigres et écorchés, d’une part, des rengorgements plus sourds et caverneux d’autre part, avec un souci constant de modulation. Il n’empêche que l’homme aux mille projets n’amuse franchement pas le terrain, semble même parfois avoir rompu les amarres avec une quelconque civilité vocale, pour se laisser aller à des prurits d’agressivité maladive, voire de démence pure.

Pour peu que l’on ait l’esprit d’aventure et la patience des masochistes, l’écoute répétée de ces deux compositions imposantes ne pose aucun problème, puisqu’elle consiste avant tout à accepter un immense voyage dans les tréfonds les plus dramatiquement intenses de la psyché humaine, telle que traduite en sons instrumentaux et vocaux. C’est du beau, messieurs : si vous croyez que c’est ainsi que vous serez admis en l’Académie de musique de bon aloi !

Alain Lavanne

Date de sortie: 24/05/2024

Label: Amor Fati

Style: Black Métal

Note: 18/20

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Kaosguards boss

Un passionné de metal complètement fou qui joue des coudes à tous les concerts.