Un regard rétrospectif donne franchement le vertige : le projet Black Metal francilien MERRIMACK livre son sixième album, lequel coïncide avec les trente du groupe. Oui, trois décennies au service d’un Black Metal acerbe, à la fois pur dans son âpreté fondamentalement misanthropique et ouvert à des tendances dissonantes, pas foncièrement incompatible avec les franges les plus intransigeantes du Post Rock et du Post Metal. En témoigne la pierre angulaire que demeure encore aujourd’hui, à mon sens, l’éprouvant, quoique magnifique « The Acausal Mass » (2012). Cet album avait gagné de nouveaux adeptes à la cause de MERRIMACK, autant qu’il en avait rebuté des mordus de la première heure : trop propre, trop aventureux, trop cérébral.
Sûrement peu soucieux de s’abaisser à faire plaisir aux plus conservateurs de leurs zélateurs, les cinq équarisseurs avaient renoué avec le Black Metal qui fut initialement le leur, à la fois bestial et mortellement précis. En guise de témoignage de ce qui fut, non pas un retour en arrière, mais un dépassement de sources initiales assumées, l’album « Omegaphilia » (2017).
Cela dit, avec cette peste modeste et moderne que fut le Covid-19, avec le temps qui passe sans cesse davantage entre deux albums, à quoi doit-on s’attendre, sept ans après, pour ce sixième album ? Seul un être de peu de Foi peut formuler une telle question, taraudé par le doute, instruisant presque un procès en dépassement, aboutissant à un apaisement, voire à un affaissement. Inutile de douter, car, d’entrée de jeu, MERRIMACK bouscule tout sur son passage, non pas du fait d’une brutalité artificiellement gagée sur des tempos trépidants – il y en a, qu’on se rassure – mais bien plus par une violence froidement appliquée et sublimée par une maîtrise qui n’a d’égale que la passion misanthropique qui, intacte, enflamme encore et toujours le combo.
Tant le format mp3 que le mixage m’interdisent de juger à sa juste valeur le travail du bassiste Daethron, on ne peut manquer de saluer l’activité puissamment intense, quoique contrastée si nécessaire, de son compère rythmique, le batteur Blastum (on change de pseudo pour la prochaine fois, mon p’tit chat ?), assure en mode blast beat destructeur, comme sur des tempos plus mesurés et complexes. Posées sur une telle assise, les guitares du fondateur Perversifier et A.K. débitent des tranches très fines de chair (de quel être vivant, je vous laisse choisir), avec une précision absolument imparable, laquelle n’exclue aucunement un petit rendu rouillé, garant d’une impossible cicatrisation des chairs. En contrepartie, les parties de guitare solo me rappellent le meilleur du Heavy Metal européen, avec à chaque intervention, une incise mélodique et une assise technique dûment équilibrées.
Mais oui, je sais, vous piaffez, mes molosses affamés : il manque l’élément, non pas principal – ce serait une insulte aux instrumentistes – mais indispensable. Avant de livrer le jugement, je vous pose une question : croyez-vous que l’être humain qui anime le pseudonyme Vestal soit capable de tricher ou de défaillir un tant soit peu ? Sur son troisième album, le trio helvète CORONER avait placé le morceau vénéneux « Read My Scars » ; c’est ce que je vous invite à faire, sans voyeurisme aucun, juste en guise de test d’authenticité : regardez le torse de Vestal… Qu’y voyez-vous ? Une thrombose veineuse généralisée, des vers invasifs évoluant en mode sous-cutanée. Non, mes bichons : il s’agit bel et bien de scarifications. Entendons-nous bien : je ne compte aucunement mesurer aucune prestation artistique à l’aune des souffrances qu’un artiste s’inflige [une seule exception, étonnamment promise à une certaine et triste postérité, un fils illégitime d’un charpentier de Nazareth, qui arrive à se laisser clouer sur des poutres en bois : fort le mec, non ?]. Tout cela pour vous dire qu’on ne s’inflige pas à soi-même ce qu’on n’est pas capable de régurgiter. Autant dire que Vestal assure spectaculairement en matière de régurgitation, éructation, jappement, aboiement ; les vocaux de cet être sont tout entier dévoués à l’agression et à la vomissure la plus profonde. Atout ultime : la qualité de la prise de son et du mixage garantissent que l’on saisisse chaque nuance de la démence à l’œuvre…
En somme, en 2024, MERRIMACK demeure aussi brutal que du MARDUK, aussi insane que du WATAIN, aussi dément que du MAYHEM, préservant idéalement un équilibre entre les prurits maladifs et haineux d’une part, une exécution hautement maîtrisée et une mise en son tout à fait équilibrée d’autre part. Pourquoi aller voir en dehors de nos frontières quand on dispose du meilleur du Black Metal intra muros (tout chauvinisme mis à part) ?
Alain Lavanne
Date de sortie: 08/03/2024
Label: Season Of Mist
Style: Black Métal
Note: 18/20
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