Bien qu’UFOMAMMUT ait vu le jour en 1999, c’est bel et bien en la première année du XXIème siècle que « Godlike Snake », premier album du groupe, vit le jour. S’ensuivirent pas moins de dix albums avant que « Hidden » ne vienne entamer la seconde dizaine. Pour les connaisseurs, la question essentielle est que peuvent-ils et elles attendre du combo italien en 2024 ? Peut-être serait-il judicieux de répondre avant tout aux novices qui n’auraient jamais croisé le chemin discographique ou scénique du trio ou du quartette (selon les époques et les formations).

Donc, à quoi peut s’attendre une personne qui effectue son premier contact avec la musique d’UFOMAMMUT en 2024 ? Tout d’abord à une sérieuse, méthodique et conséquente succession de séquences de matraques rythmiques particulièrement âpres, lourds, voire carrément douloureux. Se plonger dans les flots lents, intenses et lourds qui constituent la charpente mobile du groupe, c’est accepter de s’érafler en profondeur l’épiderme contre des falaises en grès, de s’infliger en pleine chair de cruelles échardes de merisier, de se frotter lentement mais pesamment contre des rugosités bitumineuses.

A la base de tout, se développe le jeu hiératique et sec du batteur Levre. Apparemment dépouillé et monolithique, il cache sous une apparente économie de moyens une capacité hypnotique imparable, une vertu à groover quand nécessaire et une aptitude à développer un jeu de cymbales intense. Sur ces schémas intraitables, la basse totalitaire d’Urlo (membre fondateur et indéfectible) impose des lignes incroyablement épaisses et métalliques, un peu comme si un colosse apposait ses doigts de marbre sur des câbles à très haute tension, avec un rendu épais, roide, quoique pas hostile à un certain hypnotisme, lequel confinerait au groove paradoxal ultime.

Difficile d’échapper à un quadrillage rythmique aussi intense et impérieux pour le guitariste (lui aussi fondateur) Poia. Plutôt que de lutter, il accepte derechef de délivrer à qui mieux mieux des riffs primitifs et sursaturés, en mode brute épaisse et primordiale, quitte à biaiser vicieusement le résultat à grand recours de distorsions post-Metal et des vibrations franchement psychédéliques (et donc totalement flippantes). Que ce soit via la guitare ou les arrangements de synthétiseur, c’est bel et bien via ces dimensions atmosphériques et psychédéliques que le groupe parvient à s’élever au-dessus du carcan monolithique initial. Bien évidemment, ces apports atmosphériques ne contrecarrent aucunement la visée oppressante de l’ensemble et, par leurs textures tranchant singulièrement avec le magma décrit ci-avant, amplifie l’intensité totale.

Ce n’est pas nouveau, UFOMAMMUT affectionne les titres de grands formats, « Hidden » recelant un « Crookhead » inaugural à 10’38, dépassé sur le podium de la durée par « Mausoleum » et ses 10’47, « Kismet » occupant la troisième marche avec seulement (!) 8’56. Certes, certaines séquences de ces pavés, parfois fort conséquentes, simulent à merveille un écrasement impitoyable. Pour autant, ces formats généreux permettent de développer des schémas plus complexes, incluant des plages presqu’iconoclastes. Ainsi, aux environs de la cinquième minute de « Crookhead », c’est carrément un plan psychédélique qui s’installe, flottant et vaporeux, avant de se plomber progressivement et d’aboutir à un retour à une orthodoxie rythmique lourde, rugueuse et impérieuse. Idem peu après les 3’30 de « Kismet » : une partie au groove lourd et taraudée par des synthés acides apporte une respiration différente, tout aussi impérieuse mais plus aérée. Sur « Mausoleum », la montée vers intensité maximale prend tout de même plus de deux minutes ; à partir de la cinquième minute, les riffs colossaux se déploient sur un groove brumeux, alimenté par une section rythmique en retenue et des synthés en mode trip spatial paranoïaque. Le retour à l’orage intégral ne s’opérant qu’à la fin de la huitième minute.

Forcément, les trois morceaux aux durées plus concises (4-5 minutes) permettent moins ces jeux de contrastes, mais valent néanmoins leur pesant d’acier et de roche, avec toujours ce souci d’apporter suffisamment de variations (tempo, rythme, ambiances) et d’arrangements subtils pour ne pas sombrer dans une architecture sonore strictement totalitaire.

Dans un contexte instrumental aussi impérieux, le chant ne constitue pas forcément un élément de premier plan. Il n’empêche qu’il convient de saluer la capacité du bassiste-vocaliste à s’adapter aux périodes plus contrastées et à moduler son registre.

Une fois de plus, UFOMAMMUT rappelle avec force et maîtrise sa capacité à combiner les rondeurs du Stoner, la lourdeur du Doom, la crasse du Sludge, avec une capacité avérée à développer des ambiances aux atmosphères lourdes et distordues, typiques du Post Hardcore et du Post Metal. Par ailleurs, il n’est pas interdit d’établir un parallèle en matière d’intransigeance entre le fameux album live « Space Ritual » (197) des créateurs du Space Rock, HAWKWIND, et cette même volonté d’occuper pleinement l’espace sonore, proposée par UFOMAMMUT en 2024.
« Hidden » est à réserver aux initié.es et aux audacieu.ses. Pour autant, une fois que l’on a accepté les règles du jeu, je puis vous assurer que le voyage se révèle d’une intensité salutaire. Essentiellement lourd et fouissant les profondeurs, ce Metal chtonien se transcende via l’adjonction d’une dimension ouranienne essentielle. Soit le meilleur des forces des profondeurs, rehaussé par les aspirations célestes. Ce en quoi le trio demeure on ne peut plus fidèle à son nom…

Alain Lavanne

Date de sortie: 17/05/2024

Label: Neurot recordings

Style: Stoner Doom Sludge

Note: 18,5/20

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Kaosguards boss

Un passionné de metal complètement fou qui joue des coudes à tous les concerts.