Multi-instrumentiste et vocaliste Sebastian Körkemeier ne rechigne pas à collaborer avec autrui ; on en veut pour preuve sa pleine participation à BLACK DESTINY et à HELRUNAR (sous le pseudonyme Alsvartr), ainsi que ses collaborations scéniques dans les projets de Ulf Theodor Schwadorf (EMPYRIUM) SUN OF THE SLEEPLESS et THE VISION BLEAK. Seulement, notre ami cultive des envies, des inspirations, voire des pulsions, qu’il souhaite réaliser par lui et pour lui-même. D’où la création de CAVERNOUS GATE, projet solo ostensiblement dédié au Doom Death Metal, avec à la clé ce premier album fort copieux, puisque comprenant neuf compositions, dont les durées respectives oscillent entre plus de sept et plus de neuf minutes (plus une intro et une outro).
Ayant vécu in vivo l’apparition et le développement de ce sous-genre au cours des années 90, j’avoue être devenu au fil des décennies plutôt blasé en la matière. Concernant le versant Death Metal, j’avoue ne pas être pleinement convaincu par les options, par ailleurs cohérentes, qui ont été retenues par le maître du projet. Se trouvent ici privilégiées les accélérations basiques, les rythmiques simples au son étouffé, des vocaux rauques et caverneux, plutôt mixés en retrait. Le problème, avec ce genre de Death Metal, c’est qu’il manque généralement de relief, de contrastes dynamiques et qu’il pêche par son déficit d’impact brutal et rugueux. Trop basique dans ses fondamentaux, il est qui plus est dans le cas présent mis en son trop à plat, un peu comme s’il ne fallait pas trop mettre en avant la rugosité du propos. Ainsi, les riffs me semblent mixés trop discrètement et les vocaux, plutôt articulés et expressifs, paraissent quelque peu perdus au milieu de l’animation instrumentale. Bien que non négligeable, le versant Death Metal ne parvient pas à s’imposer pleinement sur ce premier album.
On en déduira fort logiquement que c’est le pendant Doom Metal qui prend l’ascendant et l’on aura tout à fait raison. A condition toutefois de ne pas s’attendre à une approche Doom trop classique, car Sebastian Körkemeier fait montre d’une réelle ambition en la matière, et c’est tant mieux. Certes, l’auditeur peut constater que tout l’attirail Doom de base se trouve joliment représenté : tempos lents, rythmiques épaisses et austères, riffs marmoréens, ambiances lugubres ou, au mieux, fortement mélancoliques. Tout ceci est bel et bon, administré avec maîtrise et aplomb. Mais l’intérêt principal de « Voices From A Fathomless Realm » dans son ensemble réside ailleurs.
Parmi les éléments qui permettent de transcender une base Death Metal trop quelconque et trop inoffensive, il faut saluer le travail de la guitare solo : incisive, virevoltante, elle emprunte beaucoup aux caractéristiques les plus remuantes du Heavy Metal classique, contribuant à électriser aussi bien les accès Death Metal que les plages aux ambiances Doom Metal. Par ailleurs, la guitare solo fournit quand cela s’avère nécessaire ces classiques incises mélodiques, posées et dotées d’une progression dramatique, lesquelles instillent un schéma mélancolique, certes rebattu, mais encore et toujours puissamment évocateur. On pourrait en outre évoquer également les quelques espaces laissés à un chant masculin en registre clair, grave et gothique. Mais là encore, on évolue dans le détail de bon aloi, mais pas essentiel.
En fait, ce qui constitue l’attrait de cet album, ce sont les très nombreux arrangements vocaux et instrumentaux qui injectent un authentique dépassement du substrat Metal. Chœurs, harmonies, orchestrations d’instruments à cordes, classiques touches de synthétiseurs : Sebastian Körkemeier fait feu de tout bois, sans ostentation, mais sans pudeur excessive, afin d’installer une ambiance franchement dramatique, voire mystique par moments, évoquant parfois les premiers pas en la matière de CELTIC FROST (l’introduction orchestrale franchement impressionnante de « A World In Shade »), THERION ou TIAMAT (pour les jeux d’ombres électriques pesantes et de lumières mélodiques limpides). Constamment, ce dispositif ambitieux et varié rehausse et anime des compositions qui, on le rappelle, affichent des durées conséquentes et qui, sans cela, paraîtraient peut-être un brin linéaires.
Saluons donc une belle ambition de dépassement d’un matériau de base, que rien n’empêcherait cependant de rendre plus attrayant. On attend avec curiosité une suite…
Alain Lavanne
Date de sortie: 14/10/2022
Label: Prophecy productions
Style: Doom Death Métal
Note: 16/20
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