Originaire de Toulouse, ce quintette a été fondé en 2022 et sort son premier album en… 2022 ! De prime abord, on pourrait pencher pour un péché d’orgueil, la fougue et la hâte dictant un premier pas discographique trop précoce, intervenant avant que la maturité n’ait fait son œuvre. De fait, nul péché d’aucune sorte ne plombe « Causa Sui », ceci étant sûrement dû aux expériences avérées dont on peut créditer la plupart des membres du groupe. Songez que le curriculum vitae collectif comporte les noms de ERYN NON DAE, PSYKUP, GOROD, DRAWERS, GRIST, PURE WRATH, ZUBROWSKA… les connaisseurs de l’underground bruyant hexagonal apprécieront à leur juste valeur ces expériences préalables.
Nous n’avons donc pas affaire à des perdreaux de l’année mais je peux vous assurer que ce collectif fait montre d’une vitalité proprement tellurique ! Premier casse-tête pour le chroniqueur : déterminer un style, non pas pour enfermer le groupe, mais pour offrir des points de repères aux auditeurs potentiels. Il est vrai que, dans la catégorie « Style », je donne l’impression de ne pas choisir entre plusieurs options ; je conviens que cette énumération donne l’impression de ne pas vouloir (ou pouvoir) choisir. Une chose est certaine, le répertoire proposé par AHASVER se caractérise notamment par sa puissance à chaque impact, par son épaisseur rythmique, par son agressivité plus que fréquente, par ses sonorités âpres, par ses distorsions mélodiques fréquentes, par sa basse groovy et tendue. En somme, le groupe aligne quand bon lui semble du Post Hardcore à la ROLLINS BAND, du Hardcore virulent et ô combien intense, des passages plus lents et épais typiques du Doom Sludge, du Post Punk à la KILLING JOKE. Et surtout, des structures complexes, riches en contrastes de tempos, de rythmes, d’ambiances, d’où la mention progressive.
Pour une exécution crédible de ce programme dense, complexe et ambitieux, il faut des interprètes affûtés, au premier rang desquels – une fois n’est pas coutume – je citerai bien volontiers le batteur. Théophile Astorga déploie en effet un jeu extrêmement dense, techniquement fiable, capable d’accélérations foudroyantes, comme de syncopes impitoyables ; le tout sans jamais sonner comme un froid mathématicien du rythme, puisque notre pieuvre sait faire montre de tempérance et de nuances quand certaines séquences le nécessitent. Sur un tel lacis percussif, le bassiste Victor Minois pose des lignes de basse qui se font tour à tour agiles et énormes, toujours tendues. Les guitares de Mickaël André et Julien Deyres n’aiment rien tant qu’à user de riffs tordus, dissonants, comme de bons gros riffs trapus. Quitte à se faire davantage subtiles, voire à lâcher ponctuellement un solo incisif et virevoltant.
Pour parfaire ce dispositif, nous découvrons un versant vocal tout autant brutal et agressif, que varié et susceptible de belles incursions mélodiques. Certes, le chant de Nicolas Bastide s’illustre avant tout dans plusieurs registres extrêmes : écorchements éructés oscillant entre Black Metal et Hardcore douloureux, grondements caverneux à tendance Death Metal, le gosier de ce monsieur lui sert d’arme de destruction massive ! Mais pas que. C’est ainsi que l’on découvre avec émerveillement des harmonies splendides, des passages mélancoliques en registre clair, des pistes rauques aux phrasés impérieux (qui me rappellent l’immense Jaz Coleman de KILLING JOKE). Cette prestation marque d’autant plus que les nombreuses variations se font parfois à quelques secondes d’intervalle, au sein d’un même morceau : impressionnant… Parfait complément d’un substrat instrumental agité et contrasté, le chant achève de bâtir un édifice émotionnel et dramatique global, d’une puissance et d’une maturité tout simplement bluffantes.
Qui plus est, le rendu sonore de « Causa Sui » me semble proprement idéal. L’auditeur se prend en pleine poire les impacts rythmiques et les lignes de chant les plus agressives, autant qu’il se fait gratter la chair sur les os par les dissonances guitaristiques. Pour autant, il se trouvera littéralement bercé par les inserts mélodiques et atmosphériques qui, quoique minoritaires, font tout le sel de ce répertoire exigeant. Tout concorde dans la mise en forme : la prise de son impeccable mais vivante ; le mixage ménageant le juste espace pour chaque détail, sans rien sacrifier au souffle de l’ensemble ; le mastering qui scelle le rendu paradoxalement massif et détaillé voulu par AHASVER.
Saluons finalement la qualité du visuel, qui prouve que l’on peut évoquer fortement le mystère de la mort, sans recourir aux clichés visuels habituels. Un album à écouter et à se procurer impérativement.
Faites-vous votre propre opinion avec les vidéos de « Dust » ici et « Peace » là.
Alain Lavanne
Date de sortie: 16/09/2022
Label: Lifeforce records
Style: Post Hardcore progressif à tendance Sludge
Note: 18/20
Ecoutez ici