Autant l’avouer, sans toutefois vous raconter ma vie, les deux premiers albums de HYRGAL -Serpentine (2017) et Fin De Règne (2020, chroniqué ici) – ont fait partie de ceux qui ont ramené ma vieille carcasse au contact d’un style découvert dans ses prémisses des années 80, redécouvert dans les années 90 et qui me semblait tourner en rond ou se perdre en déclinaisons trop volontairement avant-gardistes. En effet, ces dernières années, les forces vives du Black Metal hexagonal ont fait feu de tout bois, avec les confirmations des déjà vétérans (DARKENHÖLD, SETH, BELENOS, BLUT AUS NORD, DEATHSPELL OMEGA) et avec le pullulement de formations plus récentes, quoique déjà aguerries et incontestablement motivées. Vous voulez des noms ? En voici en vrac, et j’en oublie : AORLHAC, LES CHANTS DE NIHIL, CORPUS DIAVOLIS, GRIFFON, REGARDE LES HOMMES TOMBER, MAIEUTISTE, VEHEMENCE, MOONREICH, K AMON K, SOL DRACONI SEPTEM, ARCHVILE KING, PENITENCE ONIRIQUE, LUNAR TOMBFIELDS, n’en jetez plus. En somme la scène hexagonale a réveillé ma passion viscérale pour le Black Metal en général… quoique je n’ai pas trouvé un tel foisonnement convaincant dans aucune autre scène nationale, tout chauvinisme mis à part.
Et donc HYRGAL, initialement trio, devenu quartette. Un troisième album représente soi-disant un cap fatal pour les groupes. Généralement, ils ont jeté dans la bataille du premier album des compositions fougueuses, à la fraîches et maîtrisées sur le bout des doigts, au fil des années de constitution d’un répertoire initial. Outre quelque reliquat des débuts, le second album se doit d’apporter une confirmation aux espoirs suscités par son prédécesseur et de marquer des points de progression. Quant au troisième album, on attend de lui qu’il installe définitivement un groupe, à la fois adossé à ses racines et déjà projeté dans les développements futurs.
Avant de se confronter à l’essentiel – la musique, quoi d’autre ? – je vais jouer au brise-noix, au prétexte que j’ai fait l’effort (comprend : je me suis fait plaisir) d’acheter sur mes deniers propres les deux albums, avec en sus un splendide tee-shirt Fin De Règne. Tout en respectant totalement la liberté absolue du groupe, je regrette 1° l’absence de titre à cet album (précision : l’album de s’intitule pas « Hyrgal », il n’a officiellement pas de titre), 2° une illustration de pochette basée sur un lettrage cabalistique. Je confesse que, me basant sur les visuels et les titres, j’avais pu, sans avoir écouté la moindre note de musique, me projeter dans l’univers de HYRGAL. Fidèle lecteur de Lovecraft et de ses zélateurs littéraires (August Derleth au premier chef), j’apparente cet album qui ne doit pas être nommé à la divinité impie Hastur. Dans le cas présent, je dois faire l’effort de me concentrer uniquement sur la musique.
Effort qui n’en est finalement pas un, tant HYRGAL continue à développer d’une main on ne peut plus ferme son projet d’un Black Metal fondamentalement virulent et abrasif, mais aussi impeccablement lisible et détectable dans sa construction structurelle. HYRGAL manie les paradoxes avec une maestria proprement luciférienne : même quand vous vous trouvez avilies, vous semblez éclairées !
C’est ainsi que l’auditeur ou l’auditrice se font sèchement sèchement gifler par une section rythmique allant de la prestation carrée et tranchante, à la galopade effrénée (l’intensité furieuse de Diablerie, la brutalité frontale presque Hardcore du fort bien nommé Fureur Funeste, les tourbillons oppressants de Au Gouffre), en passant par des sections lentes et menaçantes. Impossible pourtant de masquer le plaisir d’esthète avec lequel on déguste les parties de guitare solo (splendide héritage du classicisme Heavy Metal), ainsi que les oasis apaisées (le saisissant final atmosphérique de Vermines, les breaks ambient au milieu de Légende noire et du long La Foudre Puis La Nuit).
Le moindre des paradoxes n’est pas que, même dans les séquences les plus intenses, brutales et fulgurantes, le Black Metal de HYRGAL combine un rendu ô combien abrasif et une clarté dans l’exposé sonore, fruit d’une maîtrise instrumentale dans l’interprétation et d’un mixage avisé.
Par ailleurs, l’impression globale qui prédomine à l’écoute de ces compositions relativement concises (entre trois et six minutes, sauf La Foudre Puis La Nuit qui dépasse les sept minutes) demeure celle de l’intensité et de l’agressivité. Pour autant, on se rend rapidement compte que les nombreux changements de rythmes et de tempos concourent à ajouter une tension rythmique relativement complexe et une dimension dramatique dense, en sus d’une efficacité frontale indéniable. HYRGAL équilibre idéalement ces deux versants, trop souvent opposés.
Pour sa part, le chant rauque et articulé vous crache littéralement au visage ses vocalises haineuses ou démentielles, tout en prenant soin de moduler ses intonations afin d’introduire des contrastes suffisamment dynamiques pour contourner lestement l’écueil de la linéarité. Art du contraste encore dans les textes rédigés en français, avec un vocabulaire riche et une syntaxe un brin surannée, sans jamais sombrer dans le pédantisme. Nul ne sera surpris que les thèmes soient sombres, morbides, voire nihilistes (ah, les délices des fantasmes de destruction !), pas plus qu’on ne regrettera les classiques occurrences Lucifer, diable, démon, serpent, chaos, ténèbres, tant elles font office d’adjuvants au service d’images autrement plus baroques et complexes.
Vous l’aurez compris, non seulement HYRGAL ne faillit pas devant l’obstacle du troisième album, mais encore il le franchit avec un brio qui consiste à ne rien renier du vénéneux et rugueux projet initial, tout en affichant une maîtrise technique appréciable. A mon sens, l’acquisition de cet opus sans titre relève de l’impératif existentiel.
Alain Lavanne
Date de sortie: 20/05/2022
Label: Les Acteurs de l’Ombre Productions
Style: Black Métal
Note: 18,5/20
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