Après des décennies passées dans l’anonymat, puis dans l’oubli (formé en 1988, puis dissout en 1992, après deux démos), SORCERER s’est construit une forte réputation depuis sa reformation en 2010, passant pour l’un des porteurs les plus fougueux et talentueux de l’oriflamme du Doom Metal épique. Après « In The Shadow Of The Inverted Cross » (2015), « The Crowning Of The Fire King » (2017), « Lamenting Of The Innocent » (2020), « Reign Of The Reaper » fait office de sublime dépassement, voire de franche proclamation. SORCERER vient réclamer sa couronne… qui ne saurait être celle du seul royaume du Doom épique. Je m’explique.
SORCERER voue un culte ostensible au Heavy Metal, à condition qu’il soit porteur d’une transcendance, d’une vision, d’une volonté de dépassement des simples paramètres d’efficacité, inhérents au genre. Aussi, afin de jauger ce dernier opus de SORCERER, on pourrait tout autant invoquer les mânes des incursions épiques – certes très ponctuelles – des pionniers du Hard Rock des 70’s : LED ZEPPELIN (« Immigrant Song », « The Battle Of Evermore », « Achilles Last Stand »), DEEP PURPLE (« Child In Time »), URIAH HEEP (« Gypsy », « Salisbury », « Look At Yourself », « The Magician’s Birthday », « The Wizard », « Rainbow Demon » et tant d’autres), RAINBOW (« Catch The Rainbow », « Tarot Woman », « Stargazer », « A Light In The Black », « Kill The King », « Gates Of Babylon », « Eyes Of The World », « Eyes Of Fire »). A partir du début des années 80, notamment de la NWOBHM, la dimension épique a tendance à reculer, au profit de la stricte efficacité rythmique (toute relative, au regard de la maigreur sonore de la majorité des productions !). Débarrassé de l’emblématique vocaliste Ozzy Osbourne, devenu erratique, BLACK SABBATH se réinventa, autant qu’il réinventa le Heavy épique, via deux albums ultimes, « Heaven And Hell » (1980) et « Mob Rules » (1981). Parallèlement, Ozzy se voua partiellement, et ô combien brillamment, à un Heavy Metal inspiré, baroque sur ses deux premiers albums en solo. Via ses compositions intenses et labyrinthiques, imprégnées de logique progressive, IRON MAIDEN réinventa la tendance, sans le vouloir tout à fait. De même, un groupe réputé, à juste titre, direct et impactant comme SAXON se permit de délivrer des compositions ostensiblement dramatiques (« Frozen Rainbow », « The Eagle Has Landed », « Crusader »). Surtout, ne pas oublier les contributions des années 80, initialement globalement ignorées, de la part de formations plus ou moins reconnues à l’époque : SAVATAGE, FATES WARNING, MANILLA ROAD, CIRITH UNGOL, GRIFFIN, WARLORD, ASHBURY, PAGAN ALTAR…
Ce qui était déjà clair sur les albums précédents devient flagrant dans le cas présent : SORCERER est un enfant assumé du Heavy Metal et du Hard épique ! Il suffit de se souvenir que, sur sa seconde cassette démo (« The Inquisition », 1992), SORCERER s’aventurait dans une reprise du mythique « Stargazer » de RAINBOW. Peu importe le résultat, seule importe l’ambition… Presque trois décennies plus tard, SORCERER publia en format numérique et téléchargeable pas moins de quatre reprises, validant les influences évoquées ci-dessus ? Réunies sur le EP digital « Reverence », ces reprises consistaient en « Gates Of Babylon » (RAINBOW, « Long Live Rock’n’Roll », 1978), « When Death Calls » (BLACK SABBATH, tiré de l’album « Headless Cross », datant de 1989, avec Tony MARTIN au chant), « Crusader » de SAXON (morceau éponyme de l’album de l’album paru en 1984) et « Waiting For Darkness (Ozzy Osbourne, « Bark At The Moon », 1983).
Toutes ces influences se trouvent ici réutilisées et fondues dans le moule que SORCERER s’est créé. Dans des formats raisonnables (entre quatre et plus de six minutes), le groupe aligne des compositions impeccablement structurées, selon une méthode classique et imparable : introduction, couplet, refrain, avec une prééminence de riffs lourds et imposants et une gestion tactique des breaks qui permettent de diversifier, rythmes, tempos et ambiances. Si les séquences lentes et lourdes abondent, on bénéficie en outre de motifs énervés et rapides, passablement marqués par le Power Metal.
Eléments essentiels à la réussite du groupe en général, de cet album en particulier : le chant et la guitare solo, tous deux particulièrement mis en avant par un mixage percutant et vivace. Le chant d’abord. Présent depuis les origines, le chanteur Anders Engberg développe un chant expressif et ample (quoique peu acrobatique), dans un registre médium, oscillant entre sérénité majestueuse, force tranquille d’une part, intonations subtilement agressives et mordantes d’autre part. Surtout, les lignes vocales se trouvent systématiquement rehaussées par des harmonies, par des chœurs splendides : un véritable travail d’orfèvre, qui confère à l’ensemble de l’album une dimension épique, presque symphonique, avec une dramaturgie permanente. Laquelle ne verse jamais dans la surenchère, quoiqu’assumant tout à fait un rendu bombastique.
La guitare solo donc, exécutée avec un brio technique irréprochable et une expressivité mélodique imparable. En contrôle du médiator et du manche, on trouve un certain Kristian Niemann, soliste redoutablement précis, découvert au sein de THERION, autre groupe adepte des dimensions épique et symphonique du Metal. Ce garçon ô combien expérimenté s’y entend à merveille pour équilibrer l’expressivité mélodique et la démonstration technique redoutable ? à la limite de l’exercice de style shredder. Son jeu s’apparente à une concaténation idéale entre ceux de Richie Blackmore, Michael Schenker, Randy Rhoards, aiguillonné par la patte shredder mélodique d’un Vinnie Moore. Chacune de ses nombreuses interventions concourt à électriser le schéma traditionnel reproduit par SORCERER ; on frôle ici un équilibre quasi-idéal entre une dextérité mise au service de la narration dramatique et l’extrême technicité qui ramène l’auditeur de l’émotion vers la technicité. Un équilibre qui relève du grand art…
Au total, cet album, compilation idéale et jubilatoire de tant d’influences Hard, Heavy, Doom, Power, Prog, symphonique, cet album constitue une pierre angulaire du Metal classique de ce premier quart de siècle. En somme, vétéran que je suis, j’aurais tendance à conseiller à tout.e impétrant.e voulant découvrir le Heavy Metal épiques des brochettes d’albums des années 80 : « Number Of The Beast »-« Piece Of Mind « d’IRON MAIDEN, « Screaming For Vengeance » et « Defender Of The Fait »h (plus « Painkiller », bien sûr) de JUDAS PRIEST, « Heaven And Hell » et « Mob Rules » de BLACK SABBATH, « The Dungeons Are Calling » et « Hall Of The Mountain King » de SAVATAGE. Permettez-moi d’indiquer qu’il serait préférable de se concentrer sur « Reign Of The Reaper » qui, de par la force de ses compositions, de par l’impact de son traitement sonore (impeccablement impactant, mais granuleux dans ses fondamentaux Metal, tant riffs de guitare que section rythmique), synthétise magiquement cette capacité que propose cette frange du Heavy Metal – a fortiori du Doom Metal – de transcender la réalité pour la reloger, avec les mêmes affects et états (amour, haine, transe et toutes leurs déclinaisons).
Je suis prêt à parier que « Reign Of The Reaper » représente d’ores et déjà un monument représentatif du Heavy Metal épique de la fin de ce premier quart de siècle, parfait trait d’union entre respect de la tradition, datant des années 80, et de sa réappropriation à la fois fidèle et évolutive plusieurs décennies plus tard. Honnêtement, vieux brigand du Heavy Metal que je suis (depuis 1979), je me vois tout à fait conseiller « Reign Of The Reaper » à un.e jeune adepte du style. Soit un des vecteurs les plus probants de la capacité de ce genre de Metal d’assumer concurremment les taches les plus salissantes et abrasives et de permettre l’extraction de l’auditeur de son milieu originel. Ecouter et apprécier « Reign Of The Reaper » de nos jours permet de s’extraire impeccablement de la grisaille quotidienne, au profit de sensations grisantes et ré-injectables dans un quotidien, pour le coup fort peu épique.
« Reign Of The Reaper » ? Un parfait coup de maître ! Vous cherchez la transcendance, la projection fantasmatique ? La réponse se trouve résolument ici, pour un prix modique.
Alain Lavanne
Date de sortie: 27/10/2023
Label: Metal Blade Records
Style: Heavy Doom metal épique
Note: 18,5/20
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